Paroles de la chanson Réquisitoire contre Léon Zitrone par Pierre Desproges

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Paroles de la chanson Réquisitoire contre Léon Zitrone par Pierre Desproges

Réquisitoire contre Léon Zitrone

23 septembre 1982

Françaises, Français,
Belges, Belges,
Mon président mon chien,
Monsieur l'avocat le plus bas d'Inter,
Mesdames et messieurs les jurés,
Public chéri, mon amour.

Avant d'en venir directement au cas qui nous préoccupe aujourd'hui - qui vous préoccupe, devrais-je dire -, je voudrais faire d'abord une importante déclaration d'introduction liminaire, ce qui constitue, à l'évidence, un épouvantable pléonasme, qui passera Dieu merci inaperçu, la pratique et le bon usage de la langue étant tombés en désuétude à peu près partout, sauf, hélas, sur les sommiers infâmes où la jeunesse obtuse et ignare de ce pays moribond se livre sans vergogne à de sataniques ébats gymnasticatoires que la morale réprouve en dehors des liens sacrés du mariage par la seule grâce desquels l'homme et la femme, la main dans la main et la zigounette dans le pilou-pilou, iront sans mollir vers les matelas qui chantent.

Alors comme ça, bande de jurés sous-doués végétatifs gorgés d'inculture crasse et de Coca-Cola tiède, quand on vous parle d’« introduction liminaire », vous ne voyez pas où est le pléonasme ? Je suis même certain, monsieur Zitrone, qu'en m'entendant parler d’« introduction liminaire », la plupart de ces iconoclastes de la linguistique s'imaginent être tombés sur un cours de sodomie artisanale. J'ai dit « liminaire », pas luminaire ! Emmanchés que vous êtes !

Hélas, Dieu me tripote, hélas, hélas, qui, dans ce beau pays de France, sait encore parler, sans l'écorcher, la langue de nos pères, qui, à part nous deux Léon qu'on est les derniers, qui, dans cette époque que je serais été heureux d'y z'avoir pas vécu au niveau de l'inculture dont au sujet de laquelle je suis été si consterné.

Ah, vous pouvez rire, amputés de la syntaxe, diminués du vocable, handicapés de la sémantique, castrés du verbe, émasculés du subjonctif. (L'expression « émasculé du subjonctif » pourra vous surprendre, monsieur Zitrone, mais vous savez comme moi que, devant un subjonctif, il y a « que », et que dès qu'on coupe le « que » il y a émasculation.)

Comment osez-vous, consternants porte-drapeaux de l'indigence culturelle des temps modernes, comment osez-vous vous moquer de cet homme qu'on humilie aujourd'hui dans ce box alors que l'exemple du pur langage qu'il distille sur nos ondes et nos antennes constitue, à l'évidence, l'un des tout derniers remparts de l'Occident contre l'invasion barbare des charabias anglo-saxons ? Entendez-vous dans nos campagnes mugir ces féroces rosbifs ? Ils viennent jusque dans nos bras écorcher nos ouïes sous l'passe- montagne. Aux armes, citoyens !

J'en demande une nouvelle fois pardon à la défense passive, qui est matérialisée ici comme chaque jour par l'avocat le plus bas d'Inter ici présent, je devrais dire « ici absent », l'hibernation précoce dans laquelle il se fige avec soin constituant l'essentiel de son savoir-faire judiciaire, ainsi qu'il l'exprime présentement avec éclat, son maigre derrière rudement avachi sur l'oreiller en écailles de morue que sa tata Rodriguez lui envoie de Lisbonne en paquet fado. J'en demande pardon à la défense passive, disé-je, mais je vais une fois de plus devoir piétiner ses plates-bandes en prenant les partis de l'accusé. (Pardon, le parti : ah, vous voyez ce qui se passe quand on ne respecte pas la langue française : si je prends le parti de l'accusé, ça fait bien, si je prends les parties, ça fait mal.)

Non, mesdames et messieurs les jurés, non, je n'accablerai pas Léon Zitrone ! Bien sûr, il a fayoté à longueur de Jours de France avec les rois, les reines, les présidents, les Boussac, les chevaux, la reine d'Angleterre, Pompon, l'archi d'mes fesses du Luxembourg, le prince pipoté d'Andorre, le trouduc d'Orléans, la marquise de Pompe l'amour, le comte de la Roche- Faux cul, le chandelier de l'Échiquier, tous les faux régnants, du faux règne au père, foreign office, foreign du Saint-Esprit, amen.

Il a fait tout cela, le bougre ! Mais avec quel langage ! Quel vocabulaire ! C'est pourquoi je vous le demande en votre âme et conscience, mesdames et messieurs les jurés, peut-on raisonnablement en vouloir à un homme qui a su garder sa langue aussi belle qu'au premier jour après avoir léché tant de monde ?

Il y a onze rois encore en exercice dans les pays civilisés, mesdames et messieurs les jurés, sans ces onze rois et une poignée de propriétaires de chevaux moribonds qui se tassent de plus en plus sous leur haut-de-forme pour échapper au fisc et à la grippe espagnole, de quoi ce brave homme eût-il pu parler dans Jours de France, le journal des péteurs dans la soie ?

La seule fois qu'on a vu la photo pleine page d'un ouvrier dans Jours de France, c'était celle de Walesa ! Étonnant, non ? (Au fait, faudrait inviter Dassault avant qu'y meure !) Oui, ces mornes grabataires hippophiles, qui cliquettent dans leurs vieux os au soleil de Longchamp, sont les seules et ultimes pâtures journalistiques de l'accusé, avec, je le répète, les derniers rois fainéants du vieux monde, qui ne sont plus que onze, certes, mais est-ce sa faute à lui si les onze y trônent ?

Est-ce sa faute, à ce sympathique minaudeur mondain ? Sa charmante obséquiosité naturelle n'a-t-elle pas plus fait pour le prestige de la France dans le monde que Jojo Braquemiche pour le prestige de ma sœur rue Blondel ?

Talleyrand, qui savait nager sur le dos et ramper sur le ventre comme personne, Talleyrand qui était à l'opportunisme ce que Vatel fut à la queue, c'est-à-dire un maître (je le répète à l'intention des garçons de ferme et des étudiants en lettres qui nous écoutent par milliers et qui croient que Vatel est une eau minérale : on peut très bien vivre sans la moindre espèce de culture. Georges Marchais a fait - fait encore - une très belle carrière politique en restant persuadé que Haussmann, Malesherbes et périphérique sont des maréchaux d'Empire. En géographie, il est encore plus nul : il croit que Varsovie est dans la banlieue de Moscou).

Talleyrand, disé-je, Talleyrand qui avait oublié d'être con, sinon il aurait jamais pu être évêque, Talleyrand qui a servi de son vivant tous les princes qu'il a pu, Talleyrand qui a vécu tellement courbé qu'on a pu l'enterrer dans un carton à chapeau, Talleyrand qui trahissait Versailles comme on pète à Passy, c'est-à-dire sans bruit, c'est une licence poétique, Talleyrand, redis-je, sur son lit de mort, eut ce mot charmant à l'adresse de son fils Léon (c'est une coïncidence) qui attendait d'être assez grand pour pouvoir fayoter sous le Second Empire. Il lui dit ceci : « Mon enfant, en vérité je vous le dis, il vaut mieux éviter les peaux de banane en traversant le nouveau régime que traverser l'Ancien Régime en s'enfonçant des peaux de banane. »

Vous comprendrez aisément, mesdames et messieurs les jurés, que mon respect de la langue et du mot juste m'interdit de terminer par une déclaration liminaire. Je m'en tiendrai donc là, et vous servirai l'introduction du réquisitoire d'aujourd'hui dans la conclusion de celui de demain, si vous le voulez bien.

Léon Zitrone: Homme de télévision spécialiste du triple salto, de la vachette landaise, du mont Ventoux à vélo, des plans agraires soviétiques, de la couronne britannique et d'un peu tout ce qui reste.

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