Paroles de la chanson Réquisitoire contre Robert Charlebois par Pierre Desproges

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Paroles de la chanson Réquisitoire contre Robert Charlebois par Pierre Desproges

Réquisitoire contre Robert Charlebois

20 avril 1981

Françaises, Français,
Belges, Belges,
Mon président mon chien,
Ma maîtresse ma chienne,
Mon rocker chic récupéré aux immensités blanches,
Mesdames et messieurs les jurés,
Public chéri, mon amour.

Croyez bien que je le déplore, mais aujourd'hui, mon cher président, je ne saurais requérir contre quiconque, même pas contre ce golfeur renégat bien habillé. Je n'ai pas le cœur à réclamer la mort d'un homme parce que, tenez-vous bien, vous allez rire : je vais mourir. C'est pourquoi, au lieu d'exiger la vie d'autrui, je préférerais pleurnicher sur la mienne. Je vais mourir ces jours-ci. Il y a des signes qui ne trompent pas.

Premièrement, quand je fais ça j'ai mal ici (figure 1) et quand j'appuie là ça m'élance d'ici à là (ouille, figure 2).

Deuxièmement, le docteur est venu hier. En m'auscultant il a dit : « Oulalalala ! Mon pauv' vieux. »

Troisièmement, j'ai Jupiter dans le Poisson.

Quatrièmement, ma femme chante plus fort dans la cuisine.

Sur le plan purement clinique, le signe irréfutable de ma fin prochaine m'est apparu hier à table : je n'ai pas eu envie de mon verre de vin. Rien qu'à la vue de la liqueur rouge sombre aux reflets métalliques, mon cœur s'est soulevé. C'était pourtant un grand saint-émilion, un château Figeac 1971, c'est-à-dire l'une des plus importantes créations du génie humain depuis l'invention du cinéma par les frères Lumière en 1895. J'ai soulevé mon verre, j'ai pointé le nez dedans, et j'ai fait : « Beurk. » Pire : comme j'avais grand’soif, je me suis servi un verre d'eau. Il s'agit de ce liquide transparent qui sort des robinets et dont on se sert pour se laver. Je n'en avais encore jamais vu dans un verre. On se demande ce qu'ils mettent dedans : ça sent l'oxygène et l'hydrogène. Mais enfin bon j'en ai bu. C'est donc la fin.

C'est horrible : partir comme ça, à mon âge, sans avoir vécu la Troisième Guerre mondiale avec ma chère femme et mes chers enfants courant nus sous les bombes ! Mourir sans savoir qui va gagner : Poulidor ou Hinault ? Saint-Étienne ou Sochaux ? Les cons de la Nièvre ou les cons d'Auvergne ? Les gros rouges ou les petits Polaks ?

Mourir sans avoir jamais rien compris à la finalité de l'homme ! Mourir avec au cœur l'immense question restée sans réponse : si Dieu existe, pourquoi les deux tiers des enfants du monde sont-ils affamés ? Pourquoi la Terre est-elle en permanence à feu et à sang ? Pourquoi vivons-nous avec au ventre la peur incessante de l'holocauste atomique suprême ? Pourquoi mon magnétoscope est-il en panne ? Je ne sais pas ce qu'il a, quand on appuie sur « lecture », ça marche. Mais au bout de dix secondes « clic », ça se relève tout seul. Alors bon, j'appuie sur le bouton « retour rapide ». La bande se recale au début. Je rappuie sur « lecture ». Et là, ça marche ! !

Pourquoi, pourquoi, pourquoi ? Qui sommes-nous ? Où allons-nous ? D'où venons-nous ? Quand est-ce qu'on mange ? Seul Woody Allen, qui cache pudiquement sous des dehors comiques un réel tempérament de rigolo, a su répondre à ces angoissantes questions de la condition humaine, et sa réponse est malheureusement négative : « Non seulement Dieu n'existe pas, mais essayez de trouver un plombier pendant le week-end. »

J'en vois qui sourient. C'est qu'ils ne savent pas reconnaître l'authentique désespérance qui se cache sous les pirouettes verbales. Vous connaissez de vraies bonnes raisons de rire, vous ? Vous ne voyez donc pas ce qui se passe autour de vous ? Si encore la plus petite lueur d'espoir nous était offerte ! Mais non : c'est chaque fois la même chose : j'appuie sur le bouton « lecture ». Ça marche, mais au bout de dix secondes « clic », ça se relève tout seul ! Alors bon, j'appuie sur le bouton « retour rapide ». Ça se recale au début. Je rappuie sur « lecture », et là, ça marche ! Pourquoi ? Pourquoi? Pourquoi ? Comme le disait judicieusement Éva Darlan l'autre jour, alors que nous tentions de travailler ensemble : « Si ça se relève chaque fois que tu appuies sur le bouton, on n'est pas sortis de l'auberge. »

Je ne voudrais pas trop parler d'Éva, afin de ne pas aiguiser plus encore la jalousie du président qui est amoureux de moi lui aussi, mais tout de même, quelle extraordinaire comédienne !
Même dans un téléfilm aussi... aussi rude que Médecin de nuit (Pimpon ! Pimpon !) :

« Allô ? Léone ?
- Allô ? Jean-Edern ? Ici Léone ! C'est une émanation radioactive ! Hi ! Hi ! Hi ! Vas-y vite, mon lapin ! »

Eh bien, même dans un film aussi rude, Eva Darlan ne perd rien de ce qui fait la différence entre la femme et le géranium : « son exquise féminité », à condition, bien sûr, qu’il s'agisse d'un géranium mâle. Des millions de Français ont vu ce Médecin de nuit radioactif où notre chère Eva était si belle dans sa combinaison blanche d'ingénieur atomique qu'on se demandait si c'était de Gaulle visitant Saclay ou une capote anglaise avec des pattes !

Vous allez me dire : D'accord, mais comment reconnaître un géranium mâle d'un géranium femelle ? - C'est bien simple. Quand arrive la saison des amours vers la fin avril, début mai, chez les géraniums, tu coupes la queue, ça te fait un petit géranium, alors que chez les Ravel, tu coupes les manches, ça te fait un petit boléro. Si le géranium pousse un long cri strident au moment où on lui coupe la queue, c'est un mâle. Quant à Ravel, il est mort en plaquant un fa sans avoir connu les accords de Munich, alors que Tchaïkovski est mort en plaquant sa femme sans avoir connu les accords de fa.

Enfin, bien que je l'aie déjà dit lors d'un cours de stratégie appliquée que j'ai eu l'honneur de donner aux enfants de troupe surdoués du Prytanée militaire de La Flèche, il existe un moyen simple et efficace de reconnaître l'ennemi d'un géranium, même quand l'ennemi utilise les techniques les plus modernes du camouflage. En effet, il arrive très souvent, lors de l'assaut, que le militaire moyen, aveuglé de patriotisme et boursouflé de vinasse, ne sache pas très bien si c'est l'ennemi ou le géranium qui lui fait face - c'est pourtant simple : alors que le géranium est à nos fenêtres, l'ennemi est à nos portes ! Maréchal, nous voilà !...

Avant de mourir, je voudrais remercier tout particulièrement la municipalité de Pantin, où je suis né, place Jean-Baptiste-Vaquette-de-Gribeauval. Et comme je suis né gratuitement, je préviens aimablement les corbeaux noirs en casquette de chez Roblot et compagnie que je tiens à mourir également sans verser un kopeck. Écoutez-moi bien, vampires nécrophages de France : vendre des boîtes en chêne, guillotiner les fleurs pour en faire des couronnes, faire semblant d'être triste avec des tronches de faux culs, bousculer le chagrin des autres en leur exhibant des catalogues cadavériques, gagner sa vie sur la mort de son prochain, c'est un des métiers les moins touchés par le chômage dans notre beau pays. Mais moi, je vous préviens, croque-morts de France : mon cadavre sera piégé. Le premier qui me touche, je lui saute à la gueule !

Et si l'on mettait tout le monde dans la fosse commune et si l'on donnait aux pauvres l'argent des cercueils et des rites funèbres ? Est-ce qu'on n'aurait pas fait un petit pas de plus vers moins de connerie universelle ? Est-ce qu'on ne pourrait pas au moins être tous égaux devant la mort ? Est-ce que je vais continuer longtemps à me prendre au sérieux en jouant les démagos de cimetière ?

Donc cet homme est coupable. Mais ne vous en faites pas, Charlebois : la guillotine, c'est pas le bagne.

Robert Charlebois: Fils naturel de Félix Leclerc et de Gilles Vigneault, ce chanteur-compositeur canadien et de génie n'a aucun lien de quelque nature que ce soit avec les pizzaiolos québécois qui ont transformé Notre-Dame de Paris en pudding à la guimauve.

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