Paroles de la chanson Réquisitoire contre François Béranger par Pierre Desproges

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Paroles de la chanson Réquisitoire contre François Béranger par Pierre Desproges

Réquisitoire contre François Béranger

21 octobre 1982

Françaises, Français,
Belges, Belges,
Chartrouilleuses, tripoteurs,
Beaucerons, feignasses,
Mon président mon chien,
Affligeante raclure du barreau de mes deux chaises, Mesdames et messieurs les jurés,
Public chéri, mon amour.
Bonjour ma colère, salut ma hargne, et mon courroux... coucou.

Encore un chanteur. J'en ai marre. Mais qu'est-ce que vous avez tous à chanter ? Pourquoi vous faites pas de la peinture ? D'accord, la peinture à l'huile, c'est bien difficile, mais c'est bien plus beau que la chanson à l'eau de rose du 10 mai et que les rengaines à messages.

Sérieusement, François, mon petit lapin, pourquoi ne faites-vous pas de la peinture ? Même si vous n'êtes pas plus doué pour mélanger les couleurs que pour faire bouillir les bons senti-ments, au moins, la peinture, ça ne fait pas de bruit. Vous n'imaginez pas, mon petit François, le nombre incroyable de gens, en France, qui n'en ont rien à secouer de la chanson et des chanteurs. Moi qui vous parle, je vous jure que c'est vrai, je connais des gens normalement intelligents et parfaitement au fait de leur époque qui mènent des vies honnêtes et fruc-tueuses sans vraiment savoir si Iglesias et Béranger sont des marques de sanitaires ou des pâtes aux oeufs frais.

Allez, François, soyez sympa. Faites de la peinture. Ah, Dieu me tripote ! Si tous les chanteurs du monde voulaient bien se donner le pinceau ! Tenez, c'est simple. Écoutez-moi, Sheila, Bé-ranger, Lavilliers, Dalida, je suis prêt à faire un geste. Si vous vouliez nous le shunter une bonne fois, fermer votre gueule une bonne fois pour toutes et vous mettre à la peinture, je m'engage solennellement à mettre à votre disposition l'immense fortune accumulée par ma famille pendant l'Occupation pour financer une radio libre rien que pour vous ! Ça serait la radio que des millions de Français comme moi attendent en vain : ça s'appellerait Radio Pa-lette, elle vous serait exclusivement réservée à vous tous, chanteurs et chanteuses de France, et vous peindriez, et nous on vous écouterait peindre ! Le Nirvana !

Mais je lis dans vos yeux quelconques, monsieur Béranger, comme une interrogation muette. Au lieu de dormir, comme le font la plupart des chanteurs quand on leur parle d'autre chose que de leur sono, vous semblez parfaitement éveillé et vous vous demandez... Je sais ce qui vous tracasse. Vous vous demandez si j'aime vraiment les chanteurs ? Eh bien, tenez- vous bien : « Non. »

Mais rassurez-vous, François, ma puce. Il n'y a pas que les chanteurs que je déteste, je hais toute l'humanité. J'ai été frappé dès ma naissance de misanthropie galopante. Je fais même de l'auto-misanthropie : je me fais horreur ! Je me hais. C'est pour cette raison que le fourbe et cruel Raminagrobis magistral que vous voyez là m'a choisi comme procureur dans cette sinistre parodie de justice, d'une consternante vulgarité, où je peux impunément, jour après jour, vous vomir ma haine à travers la gueule et sur les pompes. Je vous hais Français, je vous hais François, je vous hais Béranger mon biquet ! Je hais toute l'humanité.

Plus je connais les hommes, plus j'aime mon chien. Plus je connais les femmes, moins j'aime ma chienne.

Je n'aime pas les racistes, mais j'aime encore moins les nègres. Je voue aux mêmes flammes éternelles les nazis pratiquants et les communistes orthodoxes. Je mets dans le même panier les connards phallocrates et les connasses MLF. Je trouve que les riches puent et je sais que les pauvres sentent, que les charcutiers sont dégueulasses et les végétariens lamentables. Maudite soit la sinistre bigote grenouilleuse de bénitier qui branlotte son chapelet en chevro-tant sans trêve les bondieuseries incantatoires, dérisoires, de sa foi égoïste rabougrie. Mais maudit soit aussi l'anticlérical primaire demeuré qui fait croa-croa au passage de Mère Teresa.

C'est dur à porter, une haine pareille, pour un homme seul. Ça fait mal. Ça vous brûle de l'intérieur. On a envie d'aimer, mais on ne peut pas. I\i es là, homme, mon frère, mon sem-blable, mon presque moi. Tu es là, près de moi, je te tends les bras, je cherche la chaleur de ton amitié. Mais au moment même où j'espère que je vais t'aimer, tu me regardes et tu dis : « Vous avez vu Serge Lama samedi sur la Une, c'était chouette. »

Aujourd'hui, ici même, à Chartres, j'ai cru rencontrer l'amour vrai. Et une fois de plus ma haine viscérale m'a fermé le chemin de la joie. C'était une jeune femme frêle aux yeux fié-vreux. Son front large et rond m'a tout de suite fait penser à Géraldine Chaplin. Elle avait un teint diaphane, les lèvres pâles et la peau d'une blancheur exquise, comme on n'en voit plus guère depuis que toutes ces connasses se font cuivrer la gueule à la lampe à souder pour se donner en permanence le genre naïade playboyenne émergeant de quelque crique exotique, alors qu'elles ne font que sortir du métro Châtelet pour aller pointer chez Trigano.

Elle, non. Elle était évidente et belle et sans artifice comme une rose pâle au soleil de juin. Dans la tiédeur ouatée de cette brasserie de la rue Jehan-de-Beauce, elle paraissait m'at-tendre tranquillement, sur la banquette de cuir sombre où sa robe de soie légère faisait une tache claire et gaie vers laquelle je me sentais aspiré comme la phalène affolée que fascine la bougie vacillante. Sans réfléchir, je me suis assis près d'elle. Pendant que je lui parlais, ses doigts graciles tremblaient à peine pour faire frissonner un peu le mince filet de fumée bleue montant de sa cigarette.

« Ne dites rien, madame, je ne veux pas vous importuner. Je ne cherche pas d'aventures. Je n'ai pas de pensée trouble ou malsaine. Je ne suis qu'un pauvre homme prisonnier de sa haine, qui cherche un peu d'amour pour réchauffer son cœur glacé à la chaleur d'un autre cœur. Ne me repoussez pas. Allons marcher ensemble un instant dans la ville. Ouvrez-moi votre âme l'espace d'un sourire et d'une coupe de Champagne. Je ne vous demanderai rien de plus. »

Alors cette femme inconnue s'est tournée vers moi et son regard triste et lointain s'est posé sur moi qui mendiais le secours de son cœur, et elle m'a dit, et je garderai à vie ses paroles gravées dans ma mémoire :

« Je peux pas, je garde le sac à ma copine qu'est aux ouaters et le Champagne ça me fait pé-ter. »

Je vous hais tous ! J'en suis malade ! Je suis allé voir un médecin. J'ai pris un taxi. Je hais les taxis. Il n'y a que deux sortes de chauffeurs de taxi : ceux qui puent le tabac et ceux qui vous empêchent de fumer. Ceux qui vous racontent leur putain de vie, qui parlent, parlent, parlent, les salauds, alors qu'on voudrait la paix. Et ceux qui se taisent, qui se taisent, rien, pas bonjour, alors qu'on est tout seul derrière, au bord de mourir de solitude... Il y a ceux qui sont effroya-blement racistes et qui haïssent, en bloc, les femmes, les provinciaux et les malheureux émi-grés désemparés qu'ils pourchassent jusque dans les passages cloutés, et il y a ceux qui sont même pas français, qui sont basanés et qui ne savent même pas où est la place des Épars, les cons ! Alors qu'au milieu de la place des Épars à Chartres, y a la statue équestre de Marcel Zépars ! Y a qu'à regarder !

J'ai dit au docteur : « Docteur. J'en peux plus. Je suis malade de haine. Ce n'est plus vivable. Faites quelque chose. »

Il m'a dit : « Dites trente-trois. » Et il m'a collé des antibiotiques.

Je hais les médecins. Les médecins sont debout, les malades sont couchés. Les médecins de-bout, du haut de leur superbe, paradent tous les jours dans tous les mouroirs à pauvres de l'Assistance publique poursuivis par le zèle gluant d'un troupeau de sous-médecins serviles qui leur collent au stéthoscope comme un troupeau de mouches à merde sur une bouse diplô-mée, et les médecins debout paradent au pied des lits des pauvres qui sont couchés et qui vont mourir, et le médecin leur jette à la gueule sans les voir des mots gréco-latins que les pauvres couchés ne comprennent jamais, et les pauvres couchés n'osent pas demander pour ne pas déranger le médecin debout qui pue la science et qui cache sa propre peur de la mort en distribuant sans sourciller ses sentences définitives et ses antibiotiques approximatifs, comme un pape au balcon dispersant la parole et le sirop de Dieu sur le monde à ses pieds. Alors, fais gaffe, toubib, j'ai piégé mes métastases. Le premier qui touche à mon cancer j'y saute à la gueule.

Sic transit gloria mundi. Amen.

François Béranger : Encore un chanteur ouvriéro- socialo-révolté qui voulait changer le monde et qui - vous allez rire - n'y est pas arrivé.

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