Paroles de la chanson Réquisitoire contre Alain Moreau par Pierre Desproges

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Paroles de la chanson Réquisitoire contre Alain Moreau par Pierre Desproges

Réquisitoire contre Alain Moreau

21 septembre 1982

Françaises, Français,
Belges, Belges,
Monsieur le président de carnaval,
Majesté (c'est le roi de la défense passive),
Monsieur l'éditeur maudit du Tout-Paris,
Mesdames et messieurs les jurés,
Public chéri, mon amour.

Malgré l'ulcère atrocement douloureux qui me ronge l'estomac depuis l'abolition de la peine de mort, malgré la haine instinctive et viscérale qui pousse toute société moderne bien construite à vomir ses intellectuels, malgré le malheur qui s'abat simultanément sur ma vie privée et ma carrière professionnelle (je vivais avec un leader socialiste, mais après avoir vu Defferre raconter à la télé sa version de «Flic story » sur les boulevards, il est allé se convertir à Hare Krishna), malgré toutes ces bonnes raisons qu'aurait tout procureur normal de vous condamner au maximum avant même d'avoir lu votre dossier, je serai indulgent avec vous, Alain Moreau.

Non ! Ne riez pas, monsieur le président ! Oh, je sais le mépris borné et entaché d'anticléricalisme primaire qui anime vos pensées frustes de jauressien mondain fossilisé dans l'adulation populacière par une éducation crypto-boulevardière qui vous a fait sombrer progressivement, depuis l'enfance, de la misère honnête à la magistrature couchée ! Au reste, je ne vous en veux pas, tant est admirable chez vous cette volonté farouche qui permet aux autodidactes de votre trempe de réussir dans la vie sans même avoir acquis la pratique du baisemain !

Ne riez pas vous non plus, misérable raclure du barreau de mes deux chaises, vous qui venez manger les plaidoiries des Français, alors que des milliers de chômeurs et de fainéants de ce pays rêvent d'être avocats pour pouvoir être payés à rien foutre en disant des conneries, en attendant de devenir un jour garde des Sceaux. Non, ne riez pas, vous l'avocat le plus bas d'Inter, vous le Rantanplan des prétoires.

Regardez-le, mesdames et messieurs les jurés. Avec sa petite tête noiraude bizarrement posée sur son col blanc, on dirait une olive avec une brassière !

Qu'on ne s'imagine pas que la Sainte Vierge m'est apparue. La Sainte Vierge n'apparaît en principe qu'aux humbles bergères timides qui gambadent dans les Hautes-Pyrénées en enjambant les torrents. Et encore, pas toujours. Personnellement, j'ai une petite cousine qui fait humble bergère timide. L'autre jour elle est allée gambader dans les Hautes-Pyrénées en enjambant les torrents. Soudain, à l'orée d'une grotte où coulait une source d'eau claire, elle a vu une dame toute vêtue de bleu qui se tenait debout devant elle et la regardait d'un bon sourire.

« Ah, belle dame, comme vous êtes belle dans votre belle robe bleue !
- Ça c'est vrai, ça ! » dit la dame.

C'était la Mère Denis qui polluait le gave de Pau en lavant sa culotte en Thermolactyl Babar avec sa lessive à la con.

Non, j'ai compris enfin le sens de la condition humaine.

J'en ai eu la révélation ce matin même. Au réveil, je me suis senti très mal. J'avais un poids sur la poitrine et un nœud dans la gorge alors que j'étais tout seul.

Je suis allé consulter le docteur Brouchard en qui j'ai pleinement confiance. Il m'a vu naître. Je l'ai vu naître. Nous nous sommes vus naître.

Après m'avoir ausculté de fond en comble avec minutie, il a dit :« Pierre, mon vieux... Mon pauvre vieux.
- Je vous en prie, docteur. Soyez franc. Je veux toute la vérité. J'ai besoin de savoir.
- Eh bien, j'ai une mauvaise nouvelle. De toute évidence, vous êtes atteint d'une... d'un... d'une maladie à évolution lente, caractérisée par... par une... dégénérescence irrévible des cellules et...
- Écoutez, docteur. Soyez clair : j'ai un cancer ?
- C'est-à-dire que non. Je ne dis pas cela.
- Vous dites "irréversible". C'est mortel. C'est donc bien un cancer. Parlez-moi franchement. Il me reste combien de temps ?
- Eh bien, oui. Vos jours sont comptés. À mon avis, dans le meilleur des cas, vous en avez encore pour trente à quarante ans. Maximum.
- Mais, si ce n'est pas un cancer, comment s'appelle cette maladie, docteur ?
- C'est la vie.
- La vie ? Vous voulez dire que je suis...
- Vivant, oui, hélas.
- Mais où est-ce que j'ai pu attraper une pareille saloperie ?
- C'est malheureusement héréditaire. Je ne dis pas cela pour tenter de vous consoler, mais c'est une maladie très répandue dans le monde. Il est à craindre qu'elle ne sera pas vaincue de sitôt. Ce qu'il faudrait, c'est rendre obligatoire la contraception pour tout le monde. Ce serait la seule prévention réellement efficace. Mais les gens ne sont pas mûrs. Ils forniquent à tire-larigot sans même penser qu'ils risquent à tout moment de se reproduire, contribuant ainsi à l'extension de l'épidémie de vie qui frappe le monde depuis des millénaires.
- Oui, bon, d'accord, mais moi, en attendant, qu'est- ce que je peux faire pour atténuer mes souffrances ? J'ai mal, docteur, j'ai mal.
- Avant l'issue fatale, qui devrait se situer vers la fin de ce siècle, si tout va bien, vos troubles physiques et mentaux iront en s'aggravant de façon inéluctable. En ce qui concerne les premiers, il n'y a pas grand-chose à faire. Vous allez vous racornir, vous rétrécir, vous coincer, vous durcir, vous flétrir, vous mollir. Vous allez perdre vos dents, vos cheveux, vos yeux, vos oreilles, votre voix, vos muscles, vos parents, votre prostate, vos limettes, etc. Moralement, de très nombreuses personnes parviennent cependant à supporter assez bien la vie. Elles s'agitent pour oublier. C'est ainsi que certains sont champions de course à pied, présidents de la République, alcooliques ou chœurs de l'Armée rouge. Autant d'occupations qui ne débouchent évidemment sur rien d'autre que sur la mort, mais qui peuvent apporter chez le malade une euphorie passagère ou, même, chez les imbéciles une euphorie permanente.
- Et vous n'avez pas d'autre médication à me suggérer, docteur ?
- Il y a bien la religion : c'est une défense naturelle qui permet à ceux qui la possèdent de supporter relativement bien la vie en s'autosuggérant qu'elle a un sens et qu'ils sont immortels.
- Soyons sérieux, docteur, je vous en prie.
- Alors, mon pauvre ami, je ne vois plus qu'un remède pour vous guérir de la vie. C'est le suicide.
- Ça fait mal ?
- Non, mais c'est mortel... Voilà, voilà. C'est deux cents francs.
- Deux cents francs ? C'est cher !
- C'est la vie. »

J'avais dit au début de ce réquisitoire que je serais indulgent envers Alain Moreau, mesdames et messieurs les jurés. Je confirme. Laissons-le filer. Avec ce conseil : Alain Moreau, mon vieux, ne perdez plus de temps : « Suicidez-vous jeune, vous profiterez de la mort. »

Alain Moreau : Quand il était éditeur, il a publié Suicide mode d'emploi mais ne l'a pas lu: on ne sait jamais ce qui peut vous passer par la tête.

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