Paroles de la chanson Réquisitoire contre Maurice Siégel par Pierre Desproges

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Paroles de la chanson Réquisitoire contre Maurice Siégel par Pierre Desproges

Réquisitoire contre Maurice Siégel

12 novembre 1982

Françaises, Français,
Belges, Belges,
Mères siffleuses, pères siffleurs,
Mon président mon chien,
Monsieur l'avocat le plus bas d'Inter,
Mesdames et messieurs les jurés,
Public chéri, mon amour.
Bonjour ma colère, salut ma hargne, et mon courroux... coucou.

Que la cour me pardonne, mais j'ai bien trop de respect pour la personnalité, pour le talent, pour l'œuvre de Maurice Siégel, et j'ai bien trop d'humilité pour l'insignifiance grotesque de mes propres balbutiements journalistiques de chroniqueur de coin de page, pour me permettre de requérir si peu que ce soit contre ce maître de la presse, que dis-je, ce pionnier de la radio, que dis-je, ce vieux lion des ondes, que dis-je, ce grand-père de l'information libre, que dis-je, ce fossile de la télégraphie sans fil. Non, Maurice, mon canard, non, je ne requerrai point contre vous, pour la bonne raison que le président a établi le chef d'accusation tout seul pendant que j'étais allé aux champignons avec la femme de Rego à qui j'ai fini par apprendre, à force de dévouement mycologique, à reconnaître au premier coup d'œil un Vietnamien tête de nœud d'une amanite phalloïde.

Aussi bien, mesdames et messieurs les jurés, plutôt que d'accabler un homme qui a plus fait pour la presse française que Mark et Spencer pour la capote anglaise, je suggère que nous consacrions ensemble les quelques instants qui me sont impartis avant la traditionnelle minute d'expression corporelle ibérique à commémorer ensemble le cinquantième anniversaire de la mort d'un homme qui laissera plus de traces dans l'histoire de France que les morpions dans l'histoire de ma sœur. Car en vérité, je vous le dis, mes biens chers compatriotes, nous nous devons de ne jamais oublier nos chers disparus. Il y a un an, c'était Brassens. Il y a quinze ans, Marcel Aymé. Il y a douze ans, de Gaulle, le libérateur de la patrie, qui n'eut que le tort de se droguer au haschich, dont l'abus qu'il en fit lui valut son triste surnom d'homme des 18 joints.

Mais, et c'est à lui que je veux en venir, il est un autre général français dont personne ne fête jamais le souvenir, c'est le général Brissaud, qui mourut dans son lit, et non pas dans le mien qui est plus souvent réservé aux aspirations qu'aux expirations. D'ailleurs je vis avec un aspirant. Le général Brissaud, qui commanda pendant la Première Guerre mondiale la 12e division d'infanterie, a laissé à ce monde ingrat plus d'un texte sublime, mais aucun n'atteint la beauté glacée de sa fameuse note de service FQ 728, datée du 8 octobre 1916, concernant « Le vrai salut du vrai Poilu ». Oh, je sais, j'entends d'ici les beaux esprits glousser leur mépris et les anarchistes congénitaux ricaner dans les plis noirs de leur drapeau infâme. Ah, vous pouvez railler, mais n'oubliez jamais qu'un jour ou l'autre, c'est celui qui raille qui l'a dans le train. Oui, je sais, des générations de mauvais Français se sont moquées des écrivains militaires qui se sont usé la santé à décrire par le menu la marche à pied ou la meilleure façon de saluer, pendant que leurs subordonnés aux frais de la Nation allaient batifoler au front et salir leurs beaux habits dans la boue des tranchées.

Mais, en vérité, personne, aujourd'hui, personne, avec le recul du temps qui redonne aux choses leur vraie valeur, personne n'oserait plus sourire à la lecture de ce fulgurant chef-d’œuvre de la littérature stratégique moderne qu'est la note de service FQ 728 du 8 octobre 1916 du général Pierre-Henri Brissaud.

Grâce à mes relations privilégiées avec le haut état- major de l'armée de terre (je vis en concubinage avec la poilue de Verdun qui dirige les archives de la bibliothèque des Tranchées), j'ai réussi à me procurer l'édition originale de ce texte impérissable. J'ai décidé qu'il était de mon devoir de livrer aujourd'hui à mes contemporains ces pages grandioses. Je le fais évidemment en accord avec les héritiers du général Brissaud, et notamment son petit-neveu, le colonel Philémon- Philémoi Lachtouille, qui vient lui-même de rédiger une admirable brochure sur les bonnes manières à la guerre à l'âge atomique, dans laquelle il précise, je cite : « Que, même en 1982, la pratique du salut militaire ne doit pas être abandonnée et le subordonné doit y marquer beaucoup de respect pour le supérieur, sauf en cas d'attaque thermonucléaire sur-prise où le salut pourra être effectué un peu plus vite. »

Qu'il me soit permis, mesdames et messieurs les jurés, monsieur le président, monsieur Siégel, de vous demander le plus grand recueillement pendant la lecture que je vais avoir l'honneur de vous faire de la note de service FQ 728 du 8 octobre 1916 du général Pierre-Henri Brissaud. Je demanderai également au public pendant cette lecture de respecter le sommeil de l'avocat de la défense, et je rappellerai une fois de plus aux uns et aux autres qu'il est strictement interdit de jeter de la nourriture au Portugais pendant les audiences.

NOTE DE SERVICE FQ 728

Le général commandant la division a constaté que, d'une façon générale, le salut était gauchent exécuté par les hommes et médiocrement rendu par les officiers. En conséquence, le salut sera exécuté à la 12e division d'infanterie conformément aux prescriptions ci-dessous :

A. Le salut du vrai poilu (3 temps)

1er temps - En vrai coq gaulois, se redresser vivement sur ses ergots, rassembler vigoureusement les talons. Porter la main droite dans la position du salut réglementaire, tendre tous ses muscles, la poitrine bombée, les épaules effacées, le ventre rentré, la main gauche ou-verte, le petit doigt sur la couture du pantalon. Planter carrément les yeux dans les yeux du supérieur, relever le menton et se dire intérieurement : « Je suis fier d'être un poilu. »

2e temps - Baisser imperceptiblement le menton, faire rire ses yeux et dire intérieurement à l'adresse du supérieur : « Tu en es un aussi, tu gueules quelquefois, mais ça ne fait rien, tu peux compter sur moi. »

3e temps - Relever le menton, se grandir par une extension du tronc, penser aux boches et crier intérieurement : « On les aura, les salauds ! »

B. Le salut de l'officier (2 temps)

1er temps - Envelopper le soldat d'un regard affectueux, lui rendre le salut les yeux bien dans les yeux, lui sourire discrètement et lui dire intérieurement : « Tu es sale, mais tu es beau. »

2e temps - Relever le menton, penser aux boches et dire intérieurement : « Grâce à toi, on les aura les cochons. »

Merci.

Ces textes devront être appris par cœur.

Général Brissaud,
12e D. I.,
État-major P. C.,
8 octobre 1916

Quel lyrisme, mesdames et messieurs de la cour ! N'avons-nous point tous, à cette lecture, le cœur serré et les entrailles remuées jusqu'à l'anus ? Alors que si je vous lis une note de service moderne... Tenez, celle-ci par exemple (la montrer) en date du 27 octobre dernier, à en-tête de Radio France, quelle sécheresse de ton :

COMMUNIQUÉ
27 octobre 1982 N 357/82

À l'occasion d'un chantier portant sur la réfection des terrasses, une bouteille de gaz propane a disparu. C'est la sixième en un mois.

Dans la mesure où cette bouteille serait retrouvée, il doit être signalé qu'il s'agit d'un gaz relativement dangereux et d'un maniement spécifique dont la fermeture supérieure de la bouteille peut céder à tout moment, et si le trou pète, le gaz part. Signé : Jean-Noël Jeanneney, PDG de Radio France.

Donc Maurice Siégel est coupable, mais son poilu vous en convaincra mieux que moi.

Maurice Siégel : Ce patron de presse qui s'était fait une réputation de rebelle en quittant Europe 1 avec d'énormes indemnités a ensuite créé ce journal de combat, ce brûlot incandescent ne ménageant personne, cet hymne à la liberté qui s'appelle VSD, l'hebdomadaire qui voit la vie en string.

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